D'après l'intervention de Monsieur Pastoureau : histoire du noir vestimentaire dans l'Occident médiéval
On peut rappeler que pendant longtemps l’histoire de vêtements est une histoire sans couleur. En outre, l’étude des vêtements comme celle de l’alimentation, a été mise à l‘écart de la grande histoire. Enfin, on ne peut parler du noir sans faire référence aux autres couleurs.
En ce qui concerne la teinture, on a du mal à faire du noir uniforme. La seule tenture à peu près performante pour la teinture noire est la noix de galles ; mais elle est très chère car elle ne se trouve qu’en petite quantité. On constate qu’il y a beaucoup de « tricheries » : la plus fréquente consiste à utiliser du noir de fumée, mais cela ne tient pas sur les vêtements ; une autre technique est d’y ajouter de la limaille de cuivre mais cela détériore les tissus. Les romains ne s’habillent que très rarement en noir : à la fois pour des raisons techniques mais aussi pour son côté néfaste. Au moyen Age, on fait la distinction entre le bon noir et le noir négatif. Cette distinction vient de l’Antiquité mais on retrouve aussi cela chez les germains. Notre sensibilité au noir est moins grande que pour ceux du Moyen Age.
Les auteurs chrétiens le considèrent très mal jusqu’à la fin de l’époque carolingienne. Il y a un changement avec la réforme monastique par saint Benoit d’Aniane. Les moines de Cluny sont vêtus de noir. En opposition à cet ordre, on voit par la suite apparaître les « moines blancs ». On a cet affrontement au XIIe siècle entre les moines de Cluny et ceux de Cîteaux. On arrive presque à un traité des couleurs dans les échanges entre Saint Bernard et Pierre le Vénérable : ils se reprochent mutuellement la couleur de leurs vêtements. Le noir peut être vu comme une couleur négative, celle du diable, ou positive comme démonstratif de l’humilité, de la tempérance… On constate que le « mauvais noir » est plus souvent mis en scène que le « bon noir ». Il s’agit alors que la couleur du diable, du péché… Innocent III rédige, alors qu’il n’est pas encore pape, un long traité sur la messe et sur l’usage des couleurs liturgiques. Le noir est utilisé pour les pénitences, l’affliction et la messe des morts, bien qu’il puisse être remplacé par le violet. Pour la liturgie, le noir est associé à l’Avent, au Carême et au vendredi saint. Il y a un changement après la deuxième moitié du XIIe et au XIIIe siècle. On peut penser que l’héraldique a joué un rôle important. Elle joue sur un système à six couleurs qu’elle associe en fonction de règles. Le noir en héraldique n’est ni la plus fréquente (rouge), ni le plus rare (vert). On constate que le noir (sable) se retrouve dans environ vingt à vingt cinq pourcent des blasons. Le noir n’est pas spécialement promu mais devient une couleur comme les autres, ce qui va accentuer sa promotion. Dans la littérature, le héros-chevalier peut rencontrer un chevalier monochrome ; or le noir est rarement pris en mauvaise part. Il s’agit souvent un bon chevalier mais qui cherche à cacher son identité. En revanche un chevalier rouge est presque toujours négatif. Le chevalier vert est souvent un jeune chevalier fougueux. Un chevalier blanc est souvent âgé et sage. Il n’y a pas de chevalier bleu ou jaune. On voit quelques chevaliers d’or mais se sont plutôt des personnages exceptionnels ou fantastiques.
Pour le noir vestimentaire, on a une notion vertueuse. On voit certaines catégories « socioprofessionnelles » prennent le noir pour attribut : il s’agit des robes longues comme les juristes, les médecins… On met en exergue la tempérance et la dignité. Cela va s’étendre, par exemple en Italie, avec les lois somptuaires et vestimentaires : on a souvent des mentions de couleurs prescrites ou interdire, de même pour les matières colorantes. Ce qui devient récurant est l’interdiction pour les patriciens non nobles de porter des vêtements de certaines teintes, les plus beaux rouges ou les plus beaux bleus. Ils se vêtent alors de noir. Les teinturiers doivent par conséquent apprendre à faire des beaux noirs. L’idéologique ici précède le matériel. Les princes viennent eux aussi à la couleur noire. Les cours italiennes lancent alors les modes. Ce phénomène se diffuse au XVe siècle. Le mouvement s’accélère lorsque Philippe le Bon, duc de Bourgogne, se met à la mode du noir. Tous vont suivre, les traces sont très présentes : le noir passe à la cour d’Espagne au début de l’époque moderne et les autres cours d’Europe suivent. Cela change avec la cour de louis XIV. Les teinturiers font de grands progrès, tout au moins pour ceux qui font des vêtements luxueux.
Au XVe siècle, on a de nombreux témoignage sur la symbolique des couleurs. Les vertus du noir sont plus mises en avant que les aspects négatifs. Aux précédentes on ajoute la beauté, le prestige, l’autorité. On l’associe volontiers à une autre couleur. Beaucoup de poètes célèbrent le noir comme sentiment de mélancolie ; c’est le cas de Charles d’Orléans. Le gris fait son apparition au XVe et devient le contraire du noir ; il est volontiers associé à l’espérance.
On manque une histoire sur les vêtements de deuil avant le XVIIIe siècle. Les origines sont assez incertaines. La pratique qui consiste à porter des vêtements de deuil montre qu’on porte du sombre et pas forcément du noir. C’est notamment le cas de la Vierge : elle porte le deuil de son fils. Il semble qu’il s’agit d’une pratique méditerranéenne qui va remonter vers le nord. De plus, elle ne concerne que l’élite et non les gens du commun.
Au Moyen Age, le noir est considéré comme vertueux. Cela sera repris par la mouvance protestante. Il y a l’idée qu’il y a des couleurs honnêtes : noir, gris, blanc, brun ; et des malhonnêtes. Cela vaut pour les vêtements, pour la vie quotidienne, pour le culte, pour l’art… La contre réforme catholique prend une partie des valeurs protestantes : le noir devient une couleur omniprésente. En ce qui concerne l’époque moderne, on a une parenthèse colorée au XVIIIe siècle mais le reste de l’époque reste sombre. Dans toutes les époques, on peut plus faire une analyse de la représentation du vêtement que du port du vêtement lui-même. Le noir est toujours ambigu et renferme plusieurs significations comme par exemple le luxe, la tempérance, la tristesse, la piété, la majesté… La lecture se fait toujours en fonction du contexte.