Voici un petit texte que j'ai écrit cet été à la demande de l'atelier d'enluminure. Si tout se passe bien, il sera mis en page, calligraphié et enluminé !!!
Dong… Dong… Dong…
« Mon Dieu, quel rêve ! Je ne me rappelle pas de tout mais je sais que j’ai encore rêvé d’elle. Mais… Les cloches… Elles sonnent. Et si elles sonnent, c’est que je suis en retard».
Je m’extirpe de ma couche rapidement. Pas le temps de tirer le drap ou les fourrures. Pas le temps non plus de changer de chemise. Ma tunique… Où est-elle ? Je cherche dans le lit, sur le lit, dans le coffre. Rien ! Saint Antoine, aides-moi, je suis en retard ! Ah oui, j’ai dû l’accrocher à la patère près de la cheminée. Il faut dire que je suis revenu trempé hier soir : il ne pleut pas souvent à Marseille, mais quand c’est le cas, quel orage ! Grâce à Dieu, elle est sèche. Bon, mon pantalon… Je m’affale sur le lit pour l’attraper : il est tombé de l’autre côté. Mes chaussures sont devant la porte. Je descends les escaliers, raides comme une échelle, à toute vitesse.
En sortant mes narines frémissent : les embruns. Je ne peux alors m’empêcher de regarder en bas de la rue ; là, je vois le port, plus loin les rochers… et la mer toujours aussi belle.
« Alors pitchoun, on rêvasse ? ». Je sursaute et me retourne : ma logeuse se tient sur le pas de la porte. Elle est si rondouillette qu’on se demande comment elle fait pour entrer et sortir de chez elle, mais elle est tellement adorable. C’est une amie de ma mère et a elle bien voulu me laisser la petite pièce de son fils quand celui-ci s’est marié.
« Tu sais que le maître n’aime pas qu’on soit en retard »
Tu n’as que trop raison ma bonne Gertrude. Je lui envoi un clin d’œil et elle éclate de rire, un rire gras et sonore. Je remonte la rue en courant. L’atelier se trouve dans le quartier haut, proche du monastère ; il est vrai que les moines nous passes beaucoup de commandes pour leur bibliothèque mais aussi pour leur famille. Ici, ce ne sont quasiment que des personnes de noble ascendance. L’atelier d’enluminure n’est plus qu’à quelques pâtés de maison. Je sens alors chez l’ami François une odeur de pain chaud, d’huile d’olive et d’ail. Mon ventre gargouillant me rappelle alors que je n’ai encore rien mangé ce matin. Je passe la porte.
« François, donnes moi un…
- Oh peuchère ! Toi, tu n’as pas encore mangé et comme d’habitude, tu es en retard » s’exclame-t-il en en tendant sa tartine toute huileuse. Je cours dans les petites rues, ma tartine à la main, croquant ce petit bout de Provence à pleines dents dès que je finis une bouchée. Mes mains sont grasses et je ressens tout autours de la bouche une drôle de sensation : tout le bas de mon visage doit briller de graisse. Je n’ose imaginer mon aspect d’autant plus que je porte les vêtements de la veille et que mes cheveux sont en bataille. Je cours toujours. Les passants se retournent sur mon passage mais les charrettes ne font pas attention aux piétons : pour éviter l’une d’elle, je me plaque contre un mur. Malheureusement, mon pieds glisse sur la chaussée emplie d’immondices : les gens jettent encore par les fenêtres. Maudits soient-ils ! Le cœur battant à tout rompre, je suis désormais encore plus pitoyable qu’avant : je ruisselle d’un mélange indéfinissable.
J’arrive à bout de souffle enfin devant la porte de l’atelier. Je l’ouvre et me précipite à l’intérieur. Je m’étale sur le sol : mes pieds viennent de trébucher sur l’embrasure de la porte. Je me ne suis jamais senti aussi ridicule. Je me relève et tente de garder ma contenance tant bien que mal.
« Sors d’ici » crie une voix tonitruante. « Quelle honte ! Te présenter de la sorte ». Je discerne mal qui me parle ainsi mais je ne sais que trop bien de qui il s’agit. Je l’imagine sans peine sur l’estrade au fond de la salle, debout sur ses petites jambes, son ventre rebondit tressautant au rythme de sa colère.
« Maître…
-Tais toi. Retournes d’où tu viens et ne reparaît ici que si tu es décent »
Dire que je comptais passer le plus discrètement possible. Néanmoins, pas de sanction ; j’ai de la chance d’être son apprenti préféré, ou plutôt d’avoir été car depuis quelle est arrivée, il n’en a que pour elle. Et c’est bien à son regard à elle que je voulais éviter d’apparaître. Je ne voulais pas qu’elle me voit, ni qu’elle me sente ainsi ! J’ose à peine glisser un œil vers elle : sans savoir comment exactement, je comprends qu’elle me sourit et qu’elle ne se moque pas.
Je m’en retourne alors chez moi, le front bas. Tout se bouscule dans ma tête : les cris du maîtres, les couleurs des pigments, et elle… Ses cheveux roux, sa peau si blanche, son visage constellé de petites tâches de rousseurs comme des millions d’étoiles. Et son sourire, et ses hanches. Et ses mains qui créaient tant de merveilles…
Pourtant, même si je la sens dans l’attente, je ne pense pas que ce soit le jour où j’oserai lui demander de m’accompagner en promenade.