Bataille de ManzikertLe
26 août 1071, l’armée byzantine de l’empereur
Romain IV Diogène est mise en déroute par l’armée du sultan seldjoukide
Alp Arslan près de la ville de Manzikert (ou Mantzikert, Mentzi Kert), actuellellement Malazgirt en Turquie), au nord du lac de Van.
Le contexte Le 1er janvier 1068, l’impératrice Eudoxie, veuve de Constantin X épouse Romain IV Diogène. L’empire est menacé sur toutes ses frontières : Normands en Italie, Turcs petchenègues et oghouzes dans les Balkans, Turcs seldjoukides en Orient. L’empereur doit y faire face.
Depuis 1048, les Turcs seldjoukides multiplient les incursions et les pillages dans les terres byzantines de l’Arménie et du centre de l’Anatolie. En 1064, Ani, capitale du royaume d’Arménie passe sous le contrôle du sultan Alp Arslan. Une large brèche est désormais ouverte à la frontière orientale de l’Empire byzantin, permettant aux clans nomades turcs de multiplier leurs raids dans ces régions devenues terres de razzia. Ils opèrent parfois à l’initiative du souverain seldjoukide, mais le plus souvent pour leur propre compte. Ils le font sans idée de conquête. Après chaque raid, la bande repart mettre son butin en sûreté.
Mais pour les Byzantins, la différence entre musulmans non turcs, Turcs seldjoukides et nomades turcs opérant pour leur propre compte n’apparaissait pas clairement. Entre 1068 et 1070, Romain IV Diogène lance une série de campagnes destinées à mettre fin à leurs incursions incessantes, sans succès réel, même si elles débouchent sur une trêve conclue avec le sultan. Son incapacité à contrer cette menace fragilise son pouvoir, que lui dispute ouvertement la famille Doukas.
Pour Romain IV Diogène, il s’agit donc de libérer l’Empire de la menace turque, de rétablir une frontière orientale sûre en y incluant à nouveau les territoires peuplés majoritairement d’Arméniens qui la constituait traditionnellement. Sur le plan intérieur, une victoire militaire doit constituer la démonstration décisive du bien-fondé de son action dont il a besoin pour imposer le silence à ses adversaires politiques.
En revanche, Alp Arslan n’a pas de projet de conquête contre l’empire byzantin. Son objectif principal est la destruction du califat fatimide du Caire. Il prolonge ainsi la politique de son prédécesseur, Toghrul-Beg, visant à assurer la défense du califat abbasside, dont le sultan tient la consécration de son pouvoir, et de l’orthodoxie sunnite. En 1070, c’est contre les Fatimides d’Égypte qu’il mène son armée et d’abord en Syrie contre l’émir d’Alep, vassal de ces derniers.
La campagne de Manzikert Romain prépare son expédition pendant l’hivers 1070-1071. Au printemps, il réunit son armée et progresse à travers l’Asie Mineure par Sebasteia (actuelle Sivas) jusqu’à Theodosioupolis (actuelle Erzurum) où il arrive fin juin. Là, il achève la concentration de ses forces.
Début 1071, en conduisant son armée contre les Fatimides en Syrie, Alp Arslan s’empare de la forteresse byzantine de Manzikert et assiège celle d’Édesse sans succès alors qu’en février, un ambassadeur de Romain le rejoint pour engager de nouveaux pourparlers. Une trêve est à nouveau conclue. Alp Arslan lève le siège d’Édesse et conduit son armée au sud pour assiéger la cité fatimide d’Alep.
Mais deux mois plus tard, en mai, le sultan reçoit une deuxième ambassade de Romain qui cette fois-ci exige la restitution des forteresses prises en Arménie, dont Manzikert, en échange de la forteresse de Hiérapolis (actuelle Manbij en Syrie) sous la menace d’une guerre en cas d’échec des négociations. Au même moment, le sultan apprend l’arrivée de l’armée byzantine en Arménie. Considérant cette avance comme une menace d’invasion imminente, il lève le siège d’Alep et se dirige en toute hâte vers l’Est avec une telle précipitation que son armée se disperse, ne lui laissant que sa garde personnelle composée d’esclaves militaires, les ghulams.
Pour Paul Markham, cette activité diplomatique était une manœuvre volontaire de Romain Diogène destinée à lui permettre d’atteindre l’Arménie et de recouvrer les forteresses perdues avant que les seldjoukides aient le temps de réagir. Une fois sa frontière rétablie et ses arrières assurées, il aurait pu intercepter l’armée ennemie en position de force ou bien frapper au cœur du sultanat seldjoukide sur le modèle de la campagne victorieuse d’Héraclius contre les Sassanides au VIIe siècle. Ce genre de ruse était tout à fait recommandée par les divers manuels tactiques byzantins comme permettant de remporter la victoire sans avoir à livrer bataille.
L’ambassadeur byzantin décrit à Romain le départ précipité d’Alp Arslan d’Alep comme une véritable débandade. Une partie de ses généraux lui conseillent de fortifier ses positions en Arménie en attendant l’arrivée des Turcs alors que d’autres sont d’avis de porter la guerre chez les Seldjoukides. L’empereur décide de prendre les forteresses de Manzikert et de Khliat (moderne Akhlat). Mais alors que Romain croit Alp Arslan encore loin, il est en fait tout proche, informé des faits et gestes de l’armée byzantine grâce au travail efficace de ses éclaireurs.
Car ce dernier, jugeant la situation très grave n’est pas retourné au cœur de son empire pour rassembler ses troupes. Il les fait plutôt appeler à le rejoindre en Azerbaïdjan, à Khvoy, où il s’est dirigé en toute hâte en passant par Mossoul. Son armée réunie, il se dirige vers Khliat où il envoie en avant-garde un de ses officiers qui s’était distingué en Asie Mineure et en Syrie, le turc Soundaq.
De son côté, de Theodousiopolis, l’empereur envoie lui aussi en direction de Khliat une avant-garde sous les ordres de Roussel de Bailleul composée du corps de « Francs » (Normands) qu’il commande ainsi qu’un corps d’alliés petchenègues alors que lui-même se dirige vers Manzikert avec le reste de l’armée et prend la forteresse.
Il décide de diviser son armée en deux et d’envoyer la partie la plus expérimentée (20 000 à 30 000 hommes selon les sources), ses troupes de mercenaires, sous les ordres du magistros Joseph Tarchaniôtès pour renforcer le contingent de Roussel de Bailleul devant Khliat. Ce contingent comprenait peut être des Varègues puisqu’une source musulmane parle de « russes».
C’est alors que pour des raisons que les sources ne nous permettent pas d’élucider clairement (trahison ? défaite face à l’avant-garde seldjoukide ?) les troupes de Joseph Tarchaniôtès et de Roussel de Bailleul rebroussent chemin, bifurquent à l’ouest en direction de Mélitène (moderne Malataya) et se retirent en territoire byzantin sans que Romain IV Diogène en soit averti.
Il s’avance sur Manzikert qui capitule sans combat.
Premiers engagements Le lendemain de la prise de la forteresse, probablement le mercredi 24 août, un détachement de soldats sortis fourrager en direction de Khliat sont tués ou fait prisonniers par l’avant-garde de Soundaq. Envoyé contre les Turcs, Nicéphore Bryenne est mis en difficulté et blessé. Il reçoit avec un peu de retard le secours de Nicéphore Basilikès, doux de Theodousiopolis, chef des contingents arméniens de Syrie et d’Arménie. Ce dernier met les Turcs en fuite mais sa troupe perd sa cohésion dans la poursuite. Une contre-attaque turque le met en déroute et Basilikès est capturé.
Pendant ce temps, Romain a rangé son armée en ordre de bataille en attendant une confrontation qui ne vient pas. Au soir, il regagne son camp. La nuit est troublée par une attaque des turcs contre des alliés oghouzes sortis du camp pour commercer avec des marchands locaux. La retraite précipitée des Oghouzes dans le camp sème la confusion dans la mesure où il était difficile de les différencier des turcs seldjoukides.
A l’aube, le sultan établit son camp non loin de celui du basileus. Un détachement seldjoukide tente une nouvelle attaque qui est repoussée. Mais dans la nuit, un contingent de Turcs oghouzes fait défection et passe à l’ennemi, causant un grand désarroi au sein de l’armée qui craint la trahison des autres alliés turcs encore présents, installant un climat de méfiance nuisible à la cohésion nécessaire de cet ensemble de troupes disparates.
Dans le même temps, une ambassade envoyée par le Calife est reçue par le basileus. Elle avait peut être été demandée par le sultan qui pouvait croire qu’elle serait mieux accueillie que si elle venait de sa part. Quoi qu’il en soit, Romain Diogène repoussa l’offre de paix.
Peu après le départ de l’ambassade, le basileus fit sortir son armée en ordre de bataille au matin du vendredi 26 août.
Les forces en présence Pour cette campagne, il était loin d’avoir rassemblé l’ensemble des forces de son empire puisqu’un nombre important de troupes restaient en garnison. En outre, il s’était séparé des « Nemitzoi », un corps indiscipliné de mercenaires germaniques, près de Sebasteia ainsi que de la meilleure partie de son armée peu avant la bataille. Jean-Claude Cheynet évalue ses effectifs à 60 000 hommes sur les 100 000 dont il aurait disposé au début de la campagne.
Au matin du 26 août, il conserve donc une indiscutable supériorité numérique mais son armée est plus hétérogène. Il dispose d’un nombre élevé de troupes d’alliés issus de différents groupes ethniques (Turcs oghouzes et petchenègues, Bulgares, Valaques, etc.) installés dans l’empire. Son armée comprend également des contingents d’Arméniens. Les byzantins y sont représentés dans les tagmata d’Occident et des troupes levées en Asie Mineure. Enfin, il peut compter sur les troupes d’élites de l’Hétairie et des Archontes et peut être d’autres tagmata d’élite.
Alp Arslan a peut être réuni 30 000 cavaliers. Elle comprend sa garde personnelle composée de 4000 ghulams, des esclaves constituant une élite militaire. Il a également recruté 10 000 cavaliers kurdes en Azerbaïdjan. Enfin, des chefs turcs ont du répondre à son appel et lui fournir des contingents de guerriers nomades.